Le blog
Après avoir déterminé le physique, la personnalité, l’âge, la nationalité, le style vestimentaire, le petit-déjeuner favori de ses personnages… il convient de se poser une question : comment vont-ils s’exprimer dans les dialogues ?
Auront-ils un langage particulier, distinctif du français standard ? Auquel cas est-il pertinent de lui laisser place dans le récit ou est-il plus sage d’opter pour une langue plus traditionnelle ?
En premier lieu interrogeons-nous sur la nature de ces outils langagiers que sont le patois et l’argot. Comme tous les dialectes, ils concernent tous les deux une communauté géographique ou sociale.
Les patois sont attachés aux spécificités des langues régionales. L’occitan, le breton, ou le corse en sont autant de déclinaisons existant en France. Leur origine est, comme le français, latine, et remonte aux séparations langagières appliquées en France au Moyen-Âge. En effet, le français n’était pas encore désigné comme langue principale du territoire. Les érudits employaient le latin, et la majorité du peuple parlait une langue locale : une langue d’« oïl » (pour la moitié Nord) d’« oc » (pour la moitié Sud) ou francoprovençale (à proximité de la Suisse et de l’Italie). Les patois en sont aujourd’hui les héritiers.
L’argot quant à lui, parfois surnommé « langue verte », n’a pas nécessairement de frontière géographique. Il est pratiqué généralement par un groupe social défini comme revendication identitaire. Lorsqu’il vise une profession en particulier on parle de jargon. Son fonctionnement réside principalement sur le lexique, s’appuyant sur les règles grammaticales du français. Il a d’abord pour vocation de faire communiquer de façon cryptée le groupe social concerné. Par exemple, le louchébem permettait au départ aux bouchers de se moquer des clients au nez et à la barbe de ces derniers. Lorsque le code d’un argot est connu, la fonction cryptique laisse place à une fonction ludique, comme c’est le cas du verlan notamment.
Si votre histoire se déroule au Pays basque, alors inclure quelques échanges en langue basque peut contribuer à rendre votre décor pittoresque. Si votre personnage est Professeur à l’université il parlera de « partiels » et de « coef ». Si celui-ci a un fils adolescent il y a des chances pour que celui-ci parle verlan, et ainsi de suite. Ces efforts de langue vont participer à rendre l’ensemble plus crédible, à immerger le lecteur.
Employer plusieurs formes de dialectes et de sociolectes peut même être utile si vous envisagez d’écrire une saga ou un cycle littéraire. En effet, ils permettront d’apporter du relief à votre écriture et d’identifier clairement les différentes parties. C’est d’ailleurs le défi entrepris par Émile Zola qui, dans sa démarche de naturaliste, s’est appliqué à faire foisonner maintes formes de langage dans son Cycle des Rougon-Macquart. Il tenait même un cahier où il répertoriait les mots d’argot glanés à droite à gauche et qui pourraient lui servir.
La plupart du temps, on aime lire pour découvrir et s’évader. Dans l’ordre des choses, il est donc normal de s’ennuyer dès lors que nos lectures se montrent trop répétitives. Il en va de même avec la langue utilisée. Il faut varier la longueur de nos phrases, nos tournures, notre registre… et pourquoi pas le type de langue, si l’on veut éviter à notre texte d’être trop linéaire. En plus, cela permet de représenter la richesse de nos variations langagières, trop souvent oubliée.
Découvrir et apprendre de nouveaux mots, c’est bien. Mais si votre lecteur est constamment connecté à son dictionnaire en ligne préféré pour décoder votre livre, l’effet est contreproductif : il va décrocher et ne jamais dépasser la page 18. Finalement, on perd tous les atouts mentionnés précédemment, à savoir immersion dans l’univers, acquisition d’un lexique plus riche etc.
Nous l’avons évoqué, les patois sont indéniablement reliés à des zones géographiques, tandis que l’argot a pour caractéristique première d’être crypté. Alors, les employer dans un livre, rendant leur compréhension accessible à n’importe qui, n’est-ce donc pas quelque part trahir leur nature ? Rappelons également que ces langages sont parfois employés pour susciter le rire chez le public. Il s’agit de l’usage fait par Molière lorsqu’il reproduit le vocabulaire des servantes ou le jargon des médecins. Du rire franc à la moquerie facile, il n’y a qu’un pas. Il faut donc prêter attention à l’effet que l’on souhaite provoquer.
Notons que se servir de dialectes et de sociolectes nécessite au préalable une solide documentation si vous n’êtes pas connaisseur. Il faut donc se renseigner sur les usages spatiaux, mais aussi temporels de ces derniers pour être certain d’ancrer son récit au bon endroit et au bon moment. Autrement, l’ensemble risque d’être incohérent. L’argot est peut-être encore plus difficile à manier, dans la mesure où il a tendance à se montrer fugace. Restez donc à l’affût pour évincer les décalages !
Conclusion : Ces formes de langage peuvent être vraiment bénéfiques pour vos textes si vous les maîtrisez et savez les doser avec subtilité. La question de leur utilisation rejoint celle des traductions francophones, comprenant la littérature québécoise par exemple. Représentatifs de richesses linguistiques, ces textes posent les limites que nous avons évoquées. Quel choix éditorial faire alors ? Inclure des notes de bas de page ? Un glossaire ? Laisser le texte tel quel ? Ou le traduire intégralement ? Tout va dépendre de la ligne éditoriale de la maison concernée et de l’auteur. Aucun choix n’est neutre et implique nécessairement un parti pris.