« Auteure » ou « autrice » ? La question qui fâche

« Auteure » ou « autrice » ? La question qui fâche

Depuis quelque temps maintenant, dans le domaine de la littérature, un terme en particulier fait couler beaucoup d’encre : « autrice ». Tandis que ce mot est parfaitement intégré dans le vocabulaire d’une bonne partie de la population francophone, il existe malgré tout des réfractaires qui refusent de se départir de la forme « auteure ». Le débat fait rage et beaucoup de questions se posent : l’emploi du mot « autrice » est-il correct ? S’agit-il d’un néologisme ou, à l’inverse, d’un grand oublié de la langue française ? Est-il tout aussi légitime qu’« auteure » ? L’est-il plus ?

Cette semaine, les Éditions Baudelaire apportent un éclairage et font le point avec vous sur ce mot qui déchaîne les passions.

1.La règle : ce qu’en dit l’Académie française

En 2019, l’Académie française a établi un rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Verdict : la déclinaison au féminin est admise. Bien que la féminisation du terme « auteur » soit un cas particulièrement épineux, on peut d’ores et déjà affirmer que le mot « autrice » est tout aussi légitime à l’emploi – et bien souvent préféré, peut-on lire dans le rapport – que le mot « auteure ». Plutôt que de condamner un vocable au profit d’un autre, l’Académie estime que les deux formes sont correctes.

2.Une brève histoire du mot « autrice »

Comme le fait remarquer le rapport de l’Académie, la forme « autrice » ne date pas d’hier et aurait été employée, avec plus ou moins de constance, du XVIe siècle jusqu’au XIXsiècle. À vrai dire, le débat houleux autour de ce terme traverse l’histoire depuis plus de mille cinq cents ans ! La chercheuse Aurore Évain tend à montrer, dans un article paru en 2008 dans la revue Sêméion, que « auctrix » (féminin de « auctor », « auteur » en latin) pose déjà problème aux IVe siècle : on refuse que l’écriture, champ éminemment masculin, se féminise. Pourtant, tout au long du Moyen-Âge, « auctrix » gagne du terrain, au fur et à mesure que les femmes prennent la plume.

En 1611, le féminin « autrice » entre officiellement dans le dictionnaire. À cette époque, la sphère littéraire se professionnalise et la langue s’institutionnalise. Pourtant, peu après la création de l’Académie française, en 1635, la féminisation est à nouveau proscrite. Plus qu’une simple formalité linguistique, c’est une question politique qui prend corps dans le terme « autrice ». Aurore Évain explique qu’« avec la normalisation et la politisation de la langue, disparaît donc “ autrice” au moment même où son emploi est le plus justifié alors que de nombreuses femmes aspirent à faire carrière dans les Lettres ». Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour voir réapparaître ce mot, présenté alors comme un barbarisme et déchargé de sa tumultueuse histoire.

Au XIXe siècle encore, « autrice » fait grincer des dents et le débat s’accompagne à nouveau de revendications politiques. La romancière Marie-Louise Gagneur prend l’Académie à partie : elle est consciente que la féminisation de ce mot et la légitimation de son statut de femme de lettres vont de pair. Pourtant, l’Académie ne recule pas, considérant que le métier d’écrivain ne convient pas aux femmes : « autrice », « auteure » et « écrivaine » perdent la bataille.

Il faudra attendre 1996 pour voir le mot « autrice » réintégrer le Petit Robert, tandis que la commission de féminisations, réunie en 1984 par la ministre Yvette Roudy penche d’abord pour « une auteur » avant de rajouter un « e » final en imitant nos amis québécois, en 1997.

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Plus qu’un simple mot, « autrice », c’est tout une histoire intimement liée et à la condition des femmes et à la revalorisation de leur place dans le paysage littéraire. Cet exemple montre, avec beaucoup d’éloquence, que la langue et ses évolutions sont porteuses d’enjeux politiques et témoignent des préoccupations d’une époque. Si vous doutiez encore de l’importance et du poids des mots, nous espérons que cet article aura su vous convaincre !

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